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OPINION - Les pertes humaines de la guerre franco-prussienne de 1870


Dans la «Revue historique des armées (n°294)» consacrée aux pertes humaines en temps de guerre, le professeur Nicolas Dujin, agrégé et docteur en histoire, rappelle que «les pertes sont un objet essentiel pour l’histoire militaire. Les comptabiliser est une nécessité pour évaluer l’ampleur d’une victoire ou d’une défaite, en dégager les causes une façon de cerner les forces et les faiblesses d’une armée».


Si on applique ce critère à l’armée du Rhin de la guerre franco-prussienne de 1870, les conclusions des combats des 16-18 août confirmeront la volonté de Bazaine de ne pas profiter de l’imprudence du commandement prussien et de la valeur de ses propres troupes. Le général Alvensleben commandant le 3ème corps prussien, qui s’était déjà illustré par sa manœuvre imprudente à Forbach le 6 août, réitère le 16. Croyant avoir affaire à l’arrière-garde de Bazaine et que «das Ende des französischen Widerstandes angefangen hat», il prescrit l’attaque du 6ème corps brandebourgeois, qui perd ce jour 52 officiers et 1’202 hommes. L’attaque de cavalerie pour dégager l’infanterie en mauvaise posture, la Totenritt de la brigade Bredow, est décrite par Bismarck dont le fils fut sérieusement blessé : «Die 3. Husaren, 13. und 16.Uhlanen und meine armen gelben Kürassiere haben bei diesen unsinnigen und unmöglichen Cavalerie Attacken 1/3 ihrer Leute und mehr als die Hälfte der Offiziere verloren». Enfin, Alvensleben fait attaquer la 38ème brigade, qui arrivait après une marche forcée de 45 km, vers Mars-la-Tour. Elle attaqua sans tenir compte du ravin de la Cuve, qu’il a fallu descendre puis remonter, pour se faire fusiller à bout portant par les Français dissimulés par un petit remblai puis par la division de Cissey coupant à travers champs. D’après l’état-major général prussien, les pertes du 16 août 1870 seraient de 15’790 hommes, 710 officiers et 967 disparus (ceux incapables de regravir le ravin) ; quant aux pertes françaises après rectification (erreurs d’additions dans la colonne des milliers, pertes comptées deux fois) elles s’élèveraient à 8’679 hommes, dont 834 officiers et 4’248 disparus, qui réapparaîtront quelques jours plus tard.

La différence des pertes est encore plus frappante le 18 août. A Saint-Privat-la-Montagne, la Garde prussienne perdit 8’200 hommes et 307 officiers, le XIème corps saxon 2’219 hommes dont 106 officiers. Le 6ème corps de Canrobert ne perdit que 1’510 hommes, 142 officiers et 3’106 disparus. Sa 2ème division ne compte qu’un officier et un homme tués ; elle n’a donc pas été engagée. Sa division de cavalerie n’a pas chargée. Von Papen avec les survivants de la Garde à Saint-Privat écrit « une attaque de cavalerie et nous étions perdus ».

Que dire de Gravelotte ? C’est la faillite totale du système prussien. Étaient présents à Gravelotte : le roi de Prusse, son état-major, Moltke et le sien, Bismarck, Room, les commandants d’armées. Ils sont témoins d’un spectacle incroyable : du défilé sortaient en désordre les chevaux pris de panique d’un régiment de cavalerie, culbutant l’infanterie, mélangés à des attelages d’artillerie, tous entraînés dans ce tourbillon qu’il était impossible d’arrêter. Tout le monde perdit son sang-froid. Le roi en personne donna l’ordre de bombarder les positions françaises. Après ce déluge de 4’500 obus, le roi estima qu’il n’y avait plus de défenseurs valides et donna l’ordre à la 32ème brigade d’attaquer. Celle-ci, musique en tête et drapeaux déployés, pénétra dans le défilé. Croyant la ferme de Saint-Hubert occupée par les Français, la brigade attaqua les hommes de la 1ère armée prussienne qui répliquèrent. Cette masse tournoyante, fusillée en passant devant les tranchées-abris de la brigade Jolivet, qui bien abritée n’avait perdu que 48 hommes, perdit pied et reflua dans le ravin de la Mance. Le matin suivant, on décompta, blotties, sans liens de discipline, 59 compagnies. L’état des pertes totales du 18 août 1870 publié par le grand état-major prussien seraient de 20’130 hommes dont près de 5’387 à Gravelotte.

Bismarck n’a pas l’air de connaître les principes de Dujin. Le 16 août au matin, il écrit à son épouse: «Der Feldzug ist so gut wie zu Ende». Et il poursuit le 17 août par une nouvelle missive : «Wir schlugen gestern gegen mehr als doppelte Übermacht, gegen bessere Stellung, bessere Gewehre und tapfere Feinde, und siegten doch!»