À l’instar de ses voisines, Fribourg mobilisait sa population masculine pour défendre ses murs et partir en guerre. Si ces événements témoignent des moments forts de la mobilisation militaire, les piliers sur lesquels cette dernière reposait étaient profondément intégrés aux structures institutionnelles, sociales et géographiques de la communauté urbaine et des campagnes avoisinantes. À travers l’analyse des aspects fonctionnels de l’organisation militaire de Fribourg entre 1350 et 1550, il est possible d’observer la diversité des liens entre le système militaire et la société urbaine en dehors de la simple mobilisation des troupes en période de conflit.
Pour déterminer la nature de ces liens, ma thèse s’appuie sur des fonds d’archives important des Archives de l’Etat de Fribourg, rassemblant des documents militaires d’une grande richesse – listes des corporations de métiers et des paroisses envoyées en expédition militaire, inventaires de pièces d’armures conservées dans les foyers de la ville, recensements des pièces d’artillerie postées sur les remparts et statuts de compagnies armées. À l’aide de recoupement avec des sources administratives et comptables, des analyses quantitatives et sérielles mettent en lumière l’influence de la hiérarchie économique dans la possession d’équipement militaire, l’adaptation du système de recrutement des troupes à l’expansion du territoire fribourgeois et l’affirmation des capacités militaires de la ville à travers l’accroissement du parc municipal d’armes.
Pour entreprendre des expéditions militaires et tenir durant les sièges, la ville recourait non seulement aux armes à feu et aux arbalètes municipales, mais également aux armures, provisions (sel et blé) et chevaux possédés par les individus. La mise en relation des données fiscales du milieu du XVe siècle et des biens possédés par la population montre que la contribution des foyers aux capacités militaires reposait sur les strates économiques – les plus riches devant entretenir plus d’équipement que les autres.
Dans un même ordre d’idée, le développement du rôle militaire des compagnies de chevauchée dès 1460 reposait sur des structures professionnelles et géographiques préexistantes. Ainsi, les corporations de métiers en ville et les paroisses dans les campagnes devaient mettre leurs membres à disposition pour les campagnes militaires, permettant un recrutement souple et facilité au sein de compagnies armées organisées sur le modèle des corporations de métiers. Cette décennie marque également le recours croissant aux territoires périphériques et aux villes alliées pour garnir les armées fribourgeoises. Les paroisses des campagnes, les territoires conquis après les guerres de Bourgogne et les villes combourgeoises ont ainsi pris une place de plus en plus importante, jusqu’à composer la grande majorité des troupes au XVIe siècle.
En parallèle des développements du recrutement des troupes, les remparts ont été étendus et la gesti.on du parc d’artillerie s’est complexifiée, impliquant l’engagement de spécialistes (maîtres d’artillerie) et d’artisans (fondeurs de cloches, menuisiers, …), amenant à la création de postes spécifiques dans la comptabilité municipale. L’acquisition de pièces d’artillerie et de matériaux s’appuyait sur un réseau commercial important, la ville se fournissant notamment à Genève, à Bâle et à Nuremberg. Des armes à feu portatives, des arbalètes et des pièces d’armure étaient distribuées aux hommes aptes au combat lors des situations de conflit. Ces mesures montrent ainsi la volonté des autorités municipales de renforcer les capacités défensives de la ville et, par extension, d’affirmer l’autonomie politique de la ville.
Si des cités-états comme Lucerne ou Zurich étaient peu ou prou similaires à Fribourg en termes d’organisation militaire, d’autres villes de l’actuelle Suisse romande présentaient des capacités militaires moindres et moins complexes. Toutefois, bien que différentes, les structures légales, administratives et militaires des différentes localités peuvent être comparées au niveau fondamental : omniprésence d’une mobilisation militaire des communautés urbaines, quelles que soient les structures politiques dans lesquelles elles étaient intégrées ; définition du cadre de mobilisation à travers la loi (chartes de franchises ou ordonnances) ; recrutement des troupes conditionné en totalité ou en partie par le seigneur ; gestion partielle ou complète des aspects matériels liés à l’organisation militaire. Ces caractéristiques témoignent ainsi d’une différence de degré dans la complexité de l’organisation militaire urbaine et non de nature.