Cela ne veut pas dire que l’histoire doit – ni même peut – être réécrite ou réinventée. Car l’histoire, c’est avant tout des faits, et les faits existent ou n’existent pas ! Ces faits ont été générés ou influencés par le contexte de l’époque, mais ils ont aussi – et surtout – influencé, en bien ou en mal, ce contexte et le développement des sociétés et civilisations concernées. Il faut donc être capable de décrire et d’analyser ces influences et ces conséquences. Car certaines de ces conséquences ont des répercussions jusqu’à nos jours, comme par exemple le démantèlement de l’empire ottoman au sortir de la 1ère Guerre mondiale sur l’instabilité actuelle du Moyen-Orient.
Or des faits, militaires ou non, ont lieu chaque année, chaque jour, influencés par le contexte où ils se déroulent et influençant celui-ci. Ils constituent le terreau de ce qu’on appellera, dans quelques décennies, l’histoire du début du XXIème siècle. L’histoire n’est donc pas seulement une description ou une analyse du passé ; elle s’écrit au quotidien. Et ce quotidien influence notre futur : le passé et le présent écrivent le futur !
Je me demande dès lors si nous ne devrions pas renverser Clio au profit de Janus, ce dieu à double visage, tourné à la fois vers le passé et vers le futur. Car ce qui a eu lieu peut donner des indices sur ce qui aura lieu. Je ne suis pas un tenant de l’histoire cyclique ; les choses ne se répètent pas systématiquement. Mais des similitudes du contexte peuvent laisser envisager des similitudes dans le développement des faits. Encore faut-il être conscient de ce qui s’est déroulé dans le passé, comment et pourquoi. Je ne saurai donc trop déplorer le manque d’intérêt pour l’histoire de nos instances dirigeantes et de la population en général… Si l’on ne sait pas d’où l’on vient, comment veut-on savoir où aller ?
Pour me concentrer sur les créneaux spécifiques de notre association, l’histoire militaire et les sciences militaires, je dois là aussi déplorer la perte d’intérêt des jeunes générations de nos cadres militaires, mais surtout l’absence de plus en plus criante de prises en compte historiques dans le développement de notre armée. Si les retours d’expérience (les « lessons learned ») ont leur place dans les processus opératifs, on ne sait plus - ou ne veut pas – intégrer les enseignements de phases plus ou moins récentes de notre histoire militaire dans les considérations stratégiques.
J’aimerais donc plaider une fois encore pour que l’histoire – et l’histoire militaire en particulier – retrouve une place adéquate dans notre organisation militaire, tant de manière systémique dans la planification que de manière didactique dans la formation de nos cadres professionnels et de milice. Il ne s’agit pas tant de lister dates, hommes et hauts-faits, mais bien de saisir ce que les décisions et les actions de nos prédécesseurs ont eu sur le contexte de leur époque, et leurs répercussions jusqu’à nos jours.
Alors, faut-il renverser Clio de son piédestal ? Il y a plus important : il faut réussir à insuffler à nouveau le goût et l’intérêt pour la valeur de l’histoire parmi nos décideurs et nos cadres.
Dominique Andrey, commandant de corps (lib), président ASHSM Janvier 2020
(Article repris de la Newsletter 2020 ASHSM)