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[COMPTE-RENDU]  À la GMS aussi, on parla du Général Wille Archives fédérales

[COMPTE-RENDU] À la GMS aussi, on parla du Général Wille

Le 22 février 2025, la Schweizerische Gesellschaft für Militärhistorische Studienreise GMS a consacré, elle aussi, sa réunion de printemps au Général Ulrich Wille afin de commémorer le 100ème anniversaire de sa mort. Elle y a associé l’ASHSM, et ce sont plus de 100 personnes qui se sont réunies à Zürich pour écouter les interventions de qualité de quatre membres de l’ASHSM.

Le Prof. Dr. Rudolf Jaun s’attacha à décrire la pensée et l’action de Wille entre 1877 et 1924. Celui-ci, après de rapides études et un doctorat en droit, était devenu officier instructeur de l’artillerie, dès 1871 ; il y constata le manque d’influence des officiers de milice sur l’instruction et la discipline de la troupe. Une volonté tenace d’améliorer l’éducation des soldats pour atteindre plus d’efficacité et plus de résilience devint dès lors sa conviction pour ne pas dire son sacerdoce. Et il le dit, il l’écrivit, il le publia ; cela engendra aussi bien soutien qu’opposition, car sa vision apparaissait bien peu helvétique et trop centralisatrice. Il devint instructeur en chef, puis chef d’arme de la cavalerie et s’efforça d’implémenter ses idées, et ceci avec une véhémence qui contribua à entraîner son licenciement en 1896.

Il ne s’arrêta pas pour autant : il multiplia ses articles et ses conférences, augmentant par là le cercle de ses partisans et de ses opposants. Et c’est à titre de milicien qu’il devint commandant de division puis de corps d’armée, tout en étant rédacteur de l’ASMZ et professeur de sciences militaires à l’EPF Zürich, autant de postes lui permettant de diffuser et d’appliquer ses idées. Mais le modèle prussien qu’il prônait – sur sa ligne militaire, et non politique ou sociétale – lui restait collé à la peau et intensifiait les préjugés à son égard ; il en était conscient, mais persistait dans sa vision de l’éducation militaire.

Et c’est avec cette force dans ses convictions qu’il fit tout son possible pour être élu à la tête de l’armée et promu général en août 1914. Ce poste ultime de sa carrière ne lui permit toutefois pas d’atteindre ses objectifs : les nombreuses relèves de la troupe, et l’évolution de la contestation sociale dans l’environnement civil l’empêchèrent de concrétiser pleinement sa volonté d’éduquer soldats et cadres.

À la fin de la guerre, il rendit son commandement, puis mourut le 31 janvier 1925 en restant convaincu de sa vision, mais n’ayant pas réussi à l’imposer suffisamment ; c’est pour cela qu’il fut – et reste - un officier admiré autant que contesté.

Peter Muff se concentra sur la position de Wille face à l’acquisition de mitrailleuses pour la cavalerie. Ce volet somme toute marginal de l’action de l’instructeur en chef d’alors montre toutefois clairement l’opiniâtreté et l’intransigeance dont il était capable.

En 1888, Wille exigea avec insistance l'acquisition et l'introduction immédiates de mitrailleuses 'de type anglais' pour la cavalerie - bien que celles-ci fussent déjà obsolètes à ce moment-là -, même si pour lui c'était avant tout la force intérieure de la troupe par l'éducation et l'instruction qui devait primer et non l'équipement.

En 1887 déjà, la mitrailleuse révolutionnaire Maxim avait été présentée par l'inventeur lui-même à Thoune. Des essais concluants à la troupe avec une version améliorée par la cavalerie en 1891 ne parvinrent cependant pas à convaincre Wille, qui considérait que la Maxim n'était pas encore prête à être acquise et voyait ainsi également 'l'esprit de la cavalerie' menacé ; il posa des conditions irréalistes pour l’emploi, et finalement établit et diffusa un contre-rapport acrimonieux à celui des organes officiels.

Cela eut deux effets : la personnalité de Wille en devint encore plus clivante, et la cavalerie dût attendre plusieurs années avant d’être équipée de mitrailleuses ; contrairement aux troupes de forteresse, qui introduisirent sans problème les systèmes Maxim dès 1891, le Parlement n'approuva les mitrailleuses pour la cavalerie qu'en 1898. On ne peut donc pas associer Wille à une phase de modernisation de l’armement de l’armée…

Gerhard Wyss présenta et commenta un document rédigé par Wille en 1894 : le « Règlement pour le service et l’instruction de la cavalerie ». C’est un texte peu connu de nos jours, mais qui est un jalon dans la réglementation de l’armée suisse, qui reprend les visions essentielles de Wille sur l’instruction et l’éducation de la troupe, et qui montre les aspects humains qu’il faut mettre dans la discipline attendue des citoyens-soldats.

Il visait à remplacer les longues heures d’exercices futiles, qui étaient l’héritage des anciens régiments du Service étranger, par des phases intensives de drill, qui devaient permettre d’améliorer l’éducation ; il expliquait les éléments pédagogiques à intégrer dans l’instruction, non seulement sur le contenu mais aussi sur la forme ; il mettait en exergue le rôle central du commandant de compagnie dans la mise en œuvre de celle-ci. De manière générale, il définissait la responsabilité des cadres de tous les échelons dans l’instruction des soldats, dans la marche du service, dans l’éducation de la troupe.

C’était un document précurseur et de qualité, mais qui fut aussi contesté parce que changeant beaucoup trop d’aspects ancrés dans les habitudes, introduisant une marche du service jugée trop rigoureuse et révolutionnant la doctrine – pourtant clairement désuète - d’emploi de la cavalerie. Et cette critique se fit jour également en opposition à la personnalité peu conciliante de Wille.

Néanmoins, ce document a finalement servi de modèle pour beaucoup de règlements et directives ultérieurs, jusqu’à nos jours. Le ton et la forme ont bien sûr changé, mais le fond et des parties du contenu sont restés !

Le Dr. Michael Olsansky aborda quant à lui l’aspect des « disciples de Wille », de ces officiers qui, sur plusieurs générations, ont cherché à poursuivre les réflexions de Ulrich Wille et à en appliquer les principes.

Il s’agissait pour eux de pratiquer une éducation militaire qui, tant dans l’instruction et l’entraînement que dans la manière de conduire les hommes, permettrait à notre armée de milice de pouvoir, le cas échéant, remplir sa mission avec plus d’efficience.

Il est certain que la première génération de ces officiers, qui avaient servi sous les ordres de Wille, était empreinte des méthodes prussiennes et qu’on le lui reprocha, notamment dans le contexte de la 1ère guerre mondiale. La génération suivante fut impressionnée par la remilitarisation de l’Allemagne nazie et certains de ses officiers ne purent s’empêcher de voir dans les régimes autoritaires un cadre adéquat pour l’éducation militaire qu’ils prônaient ; on les taxa d’extrémistes de droite, ce qu’ils n’étaient de loin pas tous… Mais l’ambiguïté qui existait entre leurs sympathies autoritaires et leur volonté d’améliorer l’éducation divisa les rangs jusqu’aux plus hauts échelons de l’armée, dans le contexte de la 2ème guerre mondiale. Et les idées de base furent malgré tout reformulées par plusieurs cercles, dès après la guerre, pour instruire et entraîner l’armée aux nouvelles menaces. Cette influence, différenciée selon les générations, s’est fait sentir jusque dans les années 1960-1970 ; il s’agissait toutefois plus d’agir dans les aspects éducatifs que dans les conceptions opératives. Une chose est certaine : les « disciples de Wille » ont toujours brillé dans leurs activités de réflexion et de dispute face aux courants traditionnalistes de l’armée.

Il ne faut toutefois pas les mettre dans le même panier, avec des préjugés d’autoritarisme et de militarisme ; ils ont eu des évolutions personnelles et des destins souvent différents, mais tous voulaient améliorer le niveau de l’instruction. Ce sont les méthodes prônées qui, au fil des générations, ont perdu de leur actualité.

Qu’il me soit permis de poser ici la question suivante : la manière dont notre armée pratique actuellement la conduite des hommes et leur instruction n’est-elle pas finalement – mutatis mutandis – plus proche de celle vue par Wille que l’on ne se l’imagine ?

Cette réunion de printemps de la GMS a incontestablement permis de mettre en lumière d’autres aspects de la pensée et de l’action de Ulrich Wille, et conforte le besoin de redécouvrir, par morceaux, « ce général contesté et admiré ».

Dominique ANDREY

Cdt C (lib)

Président ASHSM/SVMM